Cette année 2023 marque le 25ème anniversaire de la mort par assassinat du journaliste Burkinabè Norbert Zongo dont la vie, bien que courte, fut digne d’enseignements. L’homme aux idées avant-gardistes fut aussi cet intellectuel foncièrement constant et complètement immunisé contre le grand fléau du continent noir : la compromission de l’élite.
Sa plume on ne peut plus fertile, il l’a utilisé pour penser les plaies de son Burkina Faso et de l’Afrique qu’il aimait tant et dont il dénonçait si merveilleusement les tars au grand dam de l’élite politique aux affaires. Mais du mécontentement des gouvernants Norbert n’en avait cure tant qu’il disait la vérité et défendait le peuple. Il faisait son boulot de journaliste et se contentait de son maigre revenu, histoire pour le natif de Koudougou de garder jalousement son indépendance, comme il nomma d’ailleurs son célèbre Hebdomadaire, L’Indépendant.
Comme Lumumba ou Sankara, Norbert Finira par payer de sa témérité en étant réduit au silence à coup de balles le 23 décembre 1998 alors qu’il enquêtait sur l’assassinat du chauffeur de François Compaoré, frère du président d’alors, Blaise Compaoré.
Le sens d’un combat
« Les peuples comme les hommes finissent toujours par payer leurs compromissions politiques : avec des larmes parfois, du sang souvent, mais toujours dans la douleur. Deux illustres et malheureux exemples de l’heure peuvent être cités en la matière : le Zaïre et le Togo. Ces peuples, subjugués et gémissant sous la férule de tyrans militaires ont malheureusement leur part de responsabilité dans le drame qu’ils vivent.
En Afrique, la compromission des peuples s’effectue à 3 niveaux:
Le 1er niveau est constitué d’intellectuels opportunistes qui se servent de leurs connaissances livresques pour aider les dictateurs à donner un contour idéologique et politique à leur tyrannie… Le tyran peut voler, tuer, emprisonner, torturer… il sera défendu, intellectuellement réhabilité par des « cerveaux » au nom de leurs propres intérêts. Résultat : la plupart de ces intellectuels finissent par s’exiler, ou sont froidement exécutés ou « se suicident » en prison. Les plus heureux sont ceux qui sont dépouillés de leurs biens et de leurs privilèges avant d’être jetés en pâture au peuple… Un tyran n’a pas d’amis éternels.
Le 2ème niveau est constitué par les opposants de circonstance. Ils se battent et entraînent des hommes sincères avec eux avant de rejoindre l’ennemi d’hier, avec armes et bagages, surtout avec la liste des opposants sincères. Résultat : ils bénéficient des grâces du tyran pendant quelques temps avant d’être éjectés, emprisonnés ou tués… Un dictateur n’a confiance en personne, surtout pas en un ancien opposant.
Le 3ème niveau est constitué des « indifférents ». Les « pourvu que », la pure race des égoïstes myopes (pourvu que mon salaire tombe, pourvu que je n’aie pas d’ennuis, pourvu que rien n’arrive à ma famille…). Comme nous le disait un brave ami togolais dans les années 1980 : « pourvu que les bateaux continuent de venir au port, Eyadema peut faire ce qu’il veut. On le laisse avec DIEU ». Notre ami est actuellement réfugié à Cotonou et les bateaux mouillent toujours au large de Lomé.
Résultat: personne n’échappe à une dictature lorsqu’elle s’installe dans un pays.
Comme le dit la sagesse populaire, chaque peuple a le régime qu’il mérite. Et chaque compromission avec une dictature est toujours payée au prix fort. La règle ne souffre pas d’exception.
Norbert ZONGO, « le sens d’un combat », in L’Indépendant, « Edito N° 00…du 03 Juin 1993