22 novembre 2024
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Cellou Dalein Diallo : Mamadi Doumbouya m’a déçu (JA)

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Voilà bientôt deux ans qu’il est parti de Conakry. Quelques semaines avant qu’il ne se décide à quitter la Guinée, il avait été expulsé de chez lui par la junte, sous couvert d’une opération de récupération des biens de l’État. Sa résidence du quartier de Dixinn sera par la suite rasée. Deux ans plus tard, il est toujours poursuivi par la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief) dans le cadre de la vente d’Air Guinée, l’ancienne compagnie publique. Et il semble toujours aussi peu enclin à rentrer au pays.

Se disant victime d’un règlement de comptes destiné à le neutraliser politiquement, Cellou Dalein Diallo explique supporter « difficilement » son exil. « Mais je ne chôme pas », assure-t-il depuis Dakar, où il a posé ses valises. Président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) depuis seize ans, il revient d’Antananarivo, où il a conduit une mission d’observation électorale de l’Internationale libérale, et participe régulièrement à des conférences internationales sur le climat et les enjeux du développement. Preuve de cet agenda chargé : les quarante minutes de cet entretien ont été âprement négociées.

Vous faites partie de ceux qui ont applaudi à la chute d’Alpha Condé en septembre 2021 mais, aujourd’hui, vous vivez en exil. Diriez-vous que Mamadi Doumbouya, qui lui a succédé au pouvoir, vous a déçu ?

Oui, j’ai applaudi la chute d’Alpha Condé, parce qu’il exerçait un troisième mandat illégal et illégitime, obtenu à l’issue d’une violation flagrante de la Constitution qu’il avait, par deux fois, juré de respecter et de faire respecter.

Mais Mamadi Doumbouya n’a pas non plus respecté ses engagements. Il avait promis de mettre fin à l’instrumentalisation de la justice, au piétinement des droits et des libertés des citoyens. Il avait aussi promis de faire de la justice et du droit les boussoles de son action. Alors bien évidemment, je suis déçu.

Êtes-vous aujourd’hui en contact avec lui ?

Non.

Diriez-vous, comme nombre de ses détracteurs, que l’espace public s’est rétréci ces derniers mois ?

L’interdiction de manifester dans les rues et sur les places publiques, les atteintes récurrentes à la liberté de la presse, les poursuites et la détention sans base légale des leaders politiques et des acteurs de la société civile… Tout cela illustre de manière éloquente l’état des droits et des libertés en Guinée.

Votre parti, l’UFDG, vient de fêter son seizième anniversaire à Conakry. Cela ne vous laisse-t-il pas un goût doux-amer, vous qui n’êtes plus au pays ?

Non, il y a eu une forte mobilisation au sein de la classe politique et des Forces vives. Les militants nous ont réitéré leur confiance, au parti et à moi, qui en suis le président. Je ne peux que m’en réjouir. Ils continuent de croire en moi, malgré les injustices et les exactions.

Et de fait, que n’a-t-on pas subi depuis 2010 ? La confiscation du pouvoir, des épisodes de répression avec plus de 300 morts en dix ans sous la présidence d’Alpha Condé… Malgré tout, l’engagement de nos militants reste inchangé. Je ne peux qu’être fier de cette constance.

D’autant que je le répète, nous avons gagné des élections : la présidentielle de 2010, les législatives 2013, les locales en

2018 [tous ces scrutins ont officiellement été remportés par Alpha Condé ou son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée RPG]… Aujourd’hui encore, nous poursuivons le combat. Notre capacité de mobilisation est sans pareille et il suffirait que des élections soient organisées en toute transparence pour que l’UFDG arrive au pouvoir.

Mais vous n’avez été proclamé vainqueur à l’issue d’aucun de ces scrutins…

On nous a arraché la victoire. On a refusé aux Guinéens le droit de choisir librement leurs dirigeants et on a rejeté la vérité des urnes parla ruse et la violence. Cela a été un grand recul démocratique.

N’avez-vous pas commis des erreurs dans votre stratégie de conquête du pouvoir ? Avez-vous des regrets ?

Aucune entreprise humaine n’est parfaite. Mais j’estime que nous avons fait ce qu’il fallait pour gagner les élections. Nous avons résisté et nos militants en ont payé le prix. On a essayé de défendre nos victoires. En 2020, les gens sont sortis nous applaudir, mais c’est Alpha Condé qui a été donné vainqueur. Il y a eu 47 morts et certains des nôtres ont été envoyés en prison. Que pensez-vous que nous aurions dû faire ?

N’auriez-vous pas pu contribuer, en faisant des choix différents, à faire en sorte qu’il y ait moins d’affrontements meurtriers ?

Ce sont les Guinéens qui aspirent à la démocratie et à l’état de droit. Au-delà de l’UFDG, c’est tout le peuple qui était brimé par un exécutif auquel la justice était inféodée, et c’est encore le cas aujourd’hui. Nous devons refuser qu’on nous impose la dictature.

Songez-vous à passer la main à la tête de l’UFDG ?

Je ne suis pas éternel, bien sûr. Je fais attention mais je sais qu’à un moment ou à un autre, il faudra céder la place même si je note que la confiance à mon égard est plus forte encore qu’avant. Pour le moment, je suis en bonne santé. Lorsque l’échéance arrivera, vous serez informé. Et quoiqu’il arrive, l’UFDG survivra.

Des représentants du RPG étaient au siège de l’UFDG, le 18 novembre, tandis que le parti célébrait son anniversaire. Est-ce le temps de la réconciliation ?

Le RPG fait partie des grands partis politiques guinéens. Il demeure notre adversaire et ne saurait être un allié lors d’une compétition électorale. Mais nous avons trois objectifs majeurs en commun : nous voulons un dialogue qui soit présidé par la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] et qui se déroule en présence des observateurs réunis au sein du G5 ; nous voulons que cesse le harcèlement judiciaire contre les leaders politiques et les acteurs de la société civile ; nous voulons, enfin, un retour rapide à l’ordre constitutionnel à l’issue d’élections transparentes et inclusives.

Lorsque les conditions d’une élection sérieuse seront réunies, le RPG et nous redeviendrons des adversaires. En attendant, nous sommes ensemble.

Échangez-vous avec l’ancien président Alpha Condé, lui-même exilé en Turquie ?

La seule fois, c’était il y a un peu plus d’un an.

Comment préparez-vous les prochaines échéances électorales ?

Avant de préparer des élections, il faut que l’on ait une date et, pour l’heure, nous n’avons pas de visibilité. Mais la transition doit s’achever en décembre 2024… Il y a un chronogramme, qui a été établi à l’issue d’un « dialogue inclusif » [dialogue initié par Mamadi Doumbouya mais boycotté parles principaux partis politiques]. La Cedeao avait proposé que la transition dure deux ans, mais le CNRD [le Comité national du rassemblement pour le développement] a fait la liste des dix chantiers considérés comme prioritaires qu’il est impossible de terminer dans ce délai. Le tout avec un budget irréaliste de 600 millions de dollars, que la Guinée n’a pas ! Ils auront beau jeu de dire que nous ne pouvons pas aller aux élections parce que nous n’avons pas de nouveau fichier électoral… Un vrai marché de dupes !

Craignez-vous un glissement du calendrier ?

Les autorités de transition ont dit qu’elles ne resteraient pas au pouvoir un jour de plus que ce qui a été annoncé. Attendons de voir. En politique, il faut savoir être prudent.

Et craignez-vous que Mamadi Doumbouya ne cherche à briguer la magistrature suprême au terme de la transition ?

Le culte de personnalité dont il fait l’objet avec, notamment, la multiplication à son initiative de projets et d’actions populistes, son intérêt de plus en plus marqué pour le pouvoir… Toute cela fait effectivement craindre cette éventualité.

Diriez-vous que la communauté internationale est plus indulgente à son égard qu’à celui des autres dirigeants putschistes que sont Ibrahim Traoré au Burkina, Assimi Goïta au Mali ou Abdourahamane Tiani au Niger ?

Il faut croire que les Occidentaux préfèrent continuer à livrer leurs guerres d’influence et défendre leurs intérêts économiques plutôt que d’insister sur le respect des valeurs démocratiques.

En Guinée, on ne les a pas suffisamment entendus lorsque certaines libertés fondamentales, comme le droit de manifester sur les places publiques, ont été suspendues. On ne les a pas entendus non plus lorsque des gens ont été tués en marge de manifestations.

Je note toutefois avec satisfaction que certains exigent le respect du calendrier de la transition : l’ambassade des États-Unis avait même démarré un décompte sur son site internet, même si elle l’a abandonné après. La secrétaire d’État française au développement et à la Francophonie [Chrysoula Zacharopoulou] n’a pas manqué, lors de son séjour en Guinée, de préconiser un retour rapide à l’ordre constitutionnel.

Vous êtes poursuivis par la Crief pour votre rôle dans la vente d’Air Guinée. Le ministre de la Justice a annoncé l’envoi d’une commission rogatoire pour vous entendre à Dakar…

Je n’en ai pas encore été informé, ni par la justice guinéenne ni par la justice sénégalaise. Le moment venu, celle-ci ne manquera sûrement pas de me contacter afin que l’on définisse les conditions dans lesquelles elle compte accomplir le mandat qu’on lui a confié. J’attends.

Il y a peu, vous sembliez sur le point de rentrer en Guinée. Avez-vous changé d’avis ?

J’attends la commission rogatoire annoncée. Après, on verra.

Comment vivez-vous votre exil ?

C’est difficile, mais mon agenda est bien rempli. Le moins que l’on puisse dire, c’est que je ne m’ennuie pas.

Vous venez d’ailleurs de diriger une équipe d’observateurs à Madagascar. Comment s’y est déroulée la présidentielle ?

Nous étions une douzaine et, la veille du scrutin [qui s’est déroulé le16 novembre], nous avons entendu tous les acteurs : dans l’opposition, dans la mouvance présidentielle et parmi les institutions qui étaient parties prenantes au processus électoral. On a noté une profonde crise de confiance. D’ailleurs, la plupart des candidats n’ont pas fait campagne, et ils ont reçu le soutien de leaders d’opinion importants à Madagascar, dont ceux de la présidente de l’Assemblée nationale et du Conseil œcuménique des églises chrétiennes… Tous souhaitaient un report du scrutin pour aplanir les divergences et restaurer un minimum de confiance avant l’élection. Malheureusement, le pouvoir s’y est opposé.

Finalement, dix candidats ont boycotté l’élection, la privant ainsi de tout débat sur les programmes des uns et des autres ou sur le bilan du président sortant, Andry Rajoelina. Résultat : ce dernier n’a véritablement affronté dans les urnes que des inconnus, le plus célèbre d’entre eux devant sa notoriété au judo et non à une carrière politique.

Pour le reste, le jour du scrutin, tout s’est passé sans violence, avec un taux de participation moyen de 40 %. Je précise que nous étions déployés dans une quarantaine de bureaux de vote à Antananarivo, la capitale. Nous avons fait une déclaration préliminaire. Suivra un rapport qui sera notamment déposé à la commission électorale et aux autorités malgaches.

Source : Jeune Afrique

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