14 novembre 2024
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Conakry
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A Kissidougou les populations ”mangent” les arbres (Par Ousmane SYLLA)

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Kissidougou, l’une des 33 préfectures de la Guinée, située à 587 km de la capitale Conakry, se trouve à cheval entre la Haute Guinée, une zone dominée par la savane et la Guinée Forestière, principale région d’expansion agricole abritant également les plus grandes réserves de forêt du pays parmi lesquelles la réserve de biosphère de Ziama qui s’étend sur 120.000 hectares.

Autrefois considérée comme la perle de la région forestière à cause de ses immenses forêts qui lui offraient un paysage verdoyant, de nos jours, Kissidougou se meurt sous le poids des prédateurs de la nature. Dans cette partie de la Guinée, les forêts sont victimes de la coupe abusive du bois, des feux de brousse, de la pratique de l’agriculture sur brûlis et d’une intense production du charbon de bois.

À l’analyse de cette situation fâcheuse dans laquelle sont plongées les forêts de Kissidougou, nous avons pu repérer un certain nombre de facteurs qui entrent en jeu pour favoriser cette déforestation sauvage.

Les causes de la déforestation à Kissidougou :

sa proximité à la Haute Guinée et son accessibilité  

En plus d’être touchée par la route nationale Nº 2 qui traverse une bonne partie du pays, Kissidougou apparaît comme une sorte de ville-carrefour qui constitue le point de départ de plusieurs transversales reliant les principales villes de la Haute Guinée (Kankan, Faranah, Kouroussa et Kérouané), une région aride dont la demande en bois d’œuvre monte en flèche à cause de sa forte densité et son urbanisation accélérée, à l’image de la ville aurifère de Siguiri qui est l’une des destinations favorites des bois en provenance de Kissidougou.

À cause de cette proximité à la Haute Guinée, Kissidougou qui est la porte d’entrée de la Guinée forestière est érigée en peu de temps, en quartier général de l’industrie du bois. Un secteur entretenu par les grands argentiers du pays et qui est devenu très attrayant à cause de l’argent qui y coule à flots.

Un personnel insuffisant et peu motivé du service forestier

Avec une étendue de 8872 km2 et disposant d’un vaste territoire boisé, la préfecture de Kissidougou est dotée d’une direction préfectorale de l’environnement et du développement durable qui compte seulement 73  agents, chargés de la protection des 6 forêts classées et de nombreuses forêts non-classées, réparties entre les 12 communes rurales. En plus de ce défi de personnel, ce service fait aussi face à un énorme défi logistique sans aucun véhicule de commandement. Ses agents sous-équipés se plaignent régulièrement d’un mauvais traitement salarial et la rareté d’autres avantages administratifs, tels que l’obtention des grades. Imaginez un agent garde forestier sous-payé qui doit contrôler le secteur du bois, un domaine privilégié des magnats financiers. Toutes ces circonstances réunies offrent un boulevard aux nombreux bourreaux de la forêt de s’attaquer aux arbres de façon anarchique et en toute illégalité.

Le chômage chronique qui frappe la jeunesse  

Kissidougou est une localité sevrée d’unités industrielles, un environnement dans lequel l’accès à l’emploi est quasi inexistant et où l’agriculture qui est la principale activité n’est plus attractive aux yeux de la jeunesse à cause du désintérêt de l’État et ses partenaires et ce, malgré de fortes potentialités agricoles de la région. En guise d’alternative au chômage rampant, la jeunesse se tourne vers le très florissant secteur du bois, ce nouvel Eldorado surnommé ”la mine de Kissidougou ”. Conséquence, les jeunes ont abandonné la daba au profit des tronçonneuses.

La forte consommation du charbon de bois dans les ménages urbains

La quasi-totalité des ménages de la commune urbaine de Kissidougou utilise le charbon de bois dans la cuisine. Par exemple, dans les localités d’Albadariah et de Sangardô, de nombreux paysans se livrent à la production de ce produit dont le sac de 50 kg se négocie à 30 mille francs guinéens (soit environ 4 dollars US). Dans les villages, les fours à charbon sont visibles partout. Selon un rapport de la section bois-énergie de la direction nationale des eaux et forêts,17525, 4 tonnes métriques de charbon de bois ont été exploitées à travers le pays en 2019. Le niveau de défrichement des forêts par les producteurs de charbon de bois n’est pas du tout négligeable.

Les conséquences de la déforestation sur les activités des populations locales et sur les autres régions du pays 

  • Le secteur agricole

Kissidougou étant une localité à vocation agro-pastorale, le secteur agricole est sans doute le plus affecté par les conséquences de cette déforestation à grande envergure. Si hier, le monde paysan de Kissidougou se plaignait du manque d’intrants agricoles, de la faible mécanisation ou tout simplement du manque d’accompagnement de l’État, de nos jours, d’autres soucis liés au changement climatique sont venus se greffer aux problèmes déjà existants. Pour en savoir davantage sur cet aspect, nous avons donné la parole à M. Keita Ahmed Baka, président de la chambre régionale d’agriculture de Faranah (chef-lieu de la région incluant Kissidougou). « A Kissidougou, l’agriculture est purement pluviale, c’est-à-dire sans les précipitations, aucune forme d’agriculture n’est possible, car nous sommes encore loin de gagner le pari de la maîtrise de l’eau. Dans ces conditions, si le micro climat qui nous entoure avec l’environnement sont dégradés, ce sont nous, les paysans qui payons les frais. Par le passé, les grandes pluies s’annonçaient dès février et cela continuait jusqu’à mi-novembre.  Mais présentement, on constate que la saison pluvieuse devient de plus en plus irrégulière et cet état de fait bouleverse complètement le calendrier agricole habituel. Pour preuve, cette année la rareté des pluies était au centre des préoccupations du monde paysan de Kissidougou. En effet, jusqu’au 27 juillet passé, les grandes pluies se faisaient rares. Heureusement pour nous, la situation des pluies s’était améliorée finalement vers le 15 août mais avec des conséquences. En outre, presque à chaque campagne agricole, on assiste à des inondations qui atteignent les plaines agricoles, tout simplement parce que les berges des cours d’eau sont dévastés par les exploitants forestiers. Egalement à cause de la coupe du bois au niveau des têtes de source, de nombreux cours tarissent entraînant presque la disparition de l’agriculture maraîchère dans la commune urbaine. Alors, une telle situation concoure à la baisse de la productivité agricole avec son corollaire de paupérisation des paysans. Avec cette crue des cours d’eau, les éleveurs et les pêcheurs sont également affectés. Au nom des paysans de Kissidougou, j’invite l’État guinéen à montrer ses muscles afin de règlementer le secteur de l’exploitation du bois, car les pauvres paysans ne méritent guère de subir injustement les conséquences des actions posées par les businessmen, composés d’exploitants insoucieux et leurs complices d’agents du service forestier », s’est-il confié.

  • la vague de chaleur

En début d’année 2024, la vague de chaleur qui avait frappé tout le pays n’avait pas épargné Kissidougou, pourtant faisant partie de la région forestière. Le niveau de la chaleur avait atteint un niveau insupportable pour les populations, surtout les personnes âgées et les plus petits.

  • des inondations partout dans le pays

Cette année, depuis le début de l’hivernage, le pays vit au rythme des inondations signalées un peu partout dans les 4 régions naturelles. Les fleuves sortent fréquemment de leurs lits, causant d’importants dégâts. Selon M. Touré Lancei, directeur général de l’agence nationale pour la gestion des urgences et catastrophes humanitaires, « ces inondations ont provoqué cette année, la mort d’au moins 5 personnes, affectant 5477 ménages et touchant 27388 personnes dont 423 femmes. Uniquement pour la localité de Mandiana où le fleuve Niger est sorti de son lit, on compte 1835 hectares de champs de riz ravagés et 1416 hectares de champs de maïs dévastés.

Propositions de solutions

Face à ce constat alarmant dans le secteur de la conservation des forêts, les propositions de solutions ne tarissent pas. Plus souvent, ces propositions proviennent des spécialistes de l’environnement et de nombreuses ONGs partenaires qui affichent leurs engagements citoyens en mettant leurs expériences à la disposition de l’État en vue de redorer le blason dans un secteur en lambeaux. M. Mara Kéoulén, spécialiste de l’environnement et acteur de développement au sein de l’ONG organisation guinéenne pour le développement communautaire (OGDC) apporte sa contribution. « Il est évident que l’homme a toujours besoin du bois, mais les arbres qui produisent ces bois doivent arriver à maturité avant d’être abattus. C’est criminel de la part des exploitants forestiers de s’attaquer à des têtes de source. Maintenant, pour changer la donne dans la préservation de nos forêts, je propose les points suivants :

« – le respect strict du repos biologique. Cette période devra permettre aux espèces végétales et animales de se régénérer ;

  • les campagnes de reboisement régulières. On mettra ces campagnes à profit pour effectuer un remboursement en abondance des espèces végétales menacées ;
  • – la nécessité de trouver des alternatives à la consommation du charbon de bois dans les ménages. À ce niveau, l’État devra se battre pour rendre le biogaz accessible et à des prix abordables ou bien de favoriser la réalisation des foyers améliorés en banco ;
  • la sensibilisation des communautés villageoises sur les conséquences de la déforestation ;
  • alourdir d’avantage les sanctions pénales contre les différentes formes d’agression des forêts;
  • réadapter la politique forestière au contexte actuel en responsabilisant davantage les communautés villageoises », a-t-il énuméré.

Toutefois, le désordre dans le secteur de l’exploitation du bois a atteint un diapason inquiétant ces derniers temps en Guinée, poussant l’État, à travers le ministère de l’environnement et du développement durable à sortir un communiqué, le 03 juin dernier, interdisant la coupe et le transport du bois sur toute l’étendue du territoire national jusqu’à nouvel ordre.

Mais à cause du degré élevé de la corruption dans le pays et plus particulièrement dans ce secteur, cette décision est constamment violée malgré les barrages de contrôle des gardes forestiers érigés partout à travers le pays.

NB: Nous rappelons que cette enquête est réalisée en pleine période d’interdiction des activités liées à l’exploitation du bois en Guinée, ce qui nous a freinés dans notre élan de déceler suffisamment de preuves de corruption dans ce secteur.

Mes sincères remerciements à l’international Center For Journalists qui nous a outillé en techniques d’enquêtes, lors de l’atelier de N’zérékoré et les mêmes remerciements à l’endroit de mon mentor, le célèbre journaliste nigérien, Aksar Moussa, connu à travers le monde pour sa rigueur dans le travail, son intégrité et sa crédibilité.

Réalisé par Ousmane Sylla, journaliste du site Le revelateur224.com, sous le mentorat de Aksar Moussa

Contact téléphonique :+224 626 745 443

Email : verondelazio@gmail.com

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