21 novembre 2024
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La montée de la courbe du viol en Guinée : regard panoramique d’un sociologue et enseignant chercheur (interview)

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Ces derniers temps le viol est devenu monnaie courante dans notre société. Fait encore plus grave, ce sont les enfants de moins de dix ans, voir même des bébés, qui font les frais de cette pratique pour le moins ignoble. Pour en savoir davantage sur ce qui pourrait expliquer une telle déchéance, la rédaction de Confidence224.com est allée à la rencontre de Monsieur Barry Thierno Mamadou Aliou, Sociologue et Enseignant Chercheur à l’Université de Sonfonia. Monsieur Barry est également Vice-doyen Chargé de la Recherche à la Faculté des Sciences Sociales de la même université.

Confidence224.com : Le viol défraie encore la chronique depuis un certain temps en Guinée. Quelles perceptions, en tant que sociologue, avez-vous de la montée en flèche du phénomène dans notre société ?

Monsieur Barry : Merci beaucoup Monsieur Sylla de l’opportunité que vous m’offrez pour m’exprimer sur une question aussi essentielle que le viol. Tout d’abord il me parait louable d’aider les gens à savoir ce qu’est réellement un viol. A ce niveau je dirais que le viol peut être défini comme un acte par lequel une personne en force une autre à avoir une relation sexuelle avec elle par la violence. Il est aussi tout rapport sexuel imposé à une personne et obtenu avec violence et menace. Donc vous comprendrez qu’à ces deux définitions il y a quelque chose qui est commun : C’est le manque de consentement entre les parties. C’est-à-dire si la femme n’est pas consentante ou vice-versa, il y a viol. Mais le constat est que les femmes dans nos sociétés sont beaucoup plus victimes que les hommes. L’autre constat c’est aussi l’écart d’âge entre la victime et son bourreau. Ce phénomène est considéré par beaucoup d’observateurs et d’analystes comme étant très bizarre. L’autre précision qu’il faut faire c’est la différence entre le viol et l’agression sexuelle et on aura l’occasion d’en parler.

Pour donc en venir à votre question liée à la perception, sachez que cette perception dépend de l’œil avec lequel on regarde ce phénomène. Ça varie selon qu’on soit scientifique, journaliste, juriste ou encore sociologue. Aujourd’hui c’est une actualité, mais il faut retenir que ça a toujours existé. Le viol est aussi vieux que le monde. La seule différence est que de nos jours on en parle assez. Les médias dans ce cadre jouent un rôle important pour relayer les informations liées au viol. Aujourd’hui les cas qui se passent ont une forte chance d’être connus dans la mesure où les medias jouent un rôle primordial dans ce sens-là. Quand on parle de medias c’est y compris les medias sociaux. Vous comprendrez à ce niveau que ce n’est pas forcément le nombre de cas qui se multiplie, non ; mais parce qu’aujourd’hui nous avons des créneaux de communication rapide. Je souhaite aussi attirer l’attention sur les cas non déclarés car le sexe de manière général est un tabou dans notre société. Sinon il y a assez de cas de viol qui sont enregistrés dans les familles, dans la société mais qui sont passés sous silence. On n’en parle pas du fait, encore une fois, du tabou qui entoure le sexe chez nous. Nous sommes une société de pudeur. Nos familles trouvent déshonorant qu’on mette sur la place publique le cas de viol d’un des leurs. Je pense qu’on aura l’occasion d’en parler.

Confidence224.com : Parlant aujourd’hui des choses qui pourraient motiver le viol, les gens pointent souvent du doigt la drogue, les réseaux sociaux, le mode vestimentaire… Selon vous par quoi peut-on réellement expliquer ces cas de viol en répétition ?

Monsieur Barry : Pratiquement il y a une culture qu’on a toujours prônée, qu’on a toujours soutenu, c’est la croyance. Notre société est une société de croyance. Nous sommes à plus de 90% de croyants. Que l’on soit musulman, chrétien ou animiste, le viol est toujours banni. Mais où le bât blesse aujourd’hui c’est bien à propos de l’éducation sexuelle. Nous n’éduquons jamais sexuellement nos enfants à ça du fait de l’omerta qui caractérise le sexe dans nos sociétés. Vous avez parlé du rôle néfaste des réseaux sociaux et de l’habillement des uns et des autres ; mais pour moi cela reste très marginale dans l’exacerbation du phénomène de viol en Guinée. Il faut qu’on en vienne à l’éducation sexuelle. Cela aura pour avantage de canaliser nos enfants en les mettant à l’abri de la tentation que l’on voit actuellement. Dans l’entame de mes propos j’ai pointé du doigt l’écart d’âge qu’il y a aujourd’hui entre victimes et bourreaux. Par fois vous avez même des bébés qui sont victimes des adultes. Souvent cela abouti à des cas de mort. Cela signifie qu’il y a un problème de conscience qui, à mon avis, ne saurait être efficacement combattu que par l’éducation et la sensibilisation.

Confidence224.com : Vous parliez tantôt de tabou qui entoure le sexe chez nous. Mais justement il n’est pas rare de remarquer que lorsqu’il y a viol à l’intérieur d’une même famille, l’on se retrouve souvent pour demander un mariage entre le bourreau et sa victime. N’est-ce pas une prime au viol selon vous ?

Monsieur Barry : Bien sur le sexe est toujours considéré comme un tabou dans notre société. Et c’est la raison pour laquelle l’éducation sexuelle peine à se faire chez nous. C’est aussi à cause du même tabou que tous les cas de viol ne sont pas déclarés. Je pu vous rassurer que les chiffrent officiels qui sont fournis à propos du viol sont largement en deçà de la réalité. Cette réalité elle est toute autre. Il y a plus de viol dans notre société qu’on ne peut l’imaginer. Mais par pudeur ou encore par peur de jeter l’opprobre sur la famille l’on préfère ne pas rendre publique certains cas. Voilà la réalité de la chose. Souvent même lorsqu’une plainte est portée contre un délinquant sexuel présumé, la pesanteur sociale pousse la victime à se désister au profit d’un règlement à l’amiable. Et c’est souvent à l’issue de tout ça qu’on en arrive à la bêtise d’arranger un mariage entre la victime et son bourreau. Voilà encore une fois la réalité des choses. Il y a vraiment du travail à faire à ce niveau pour faire bouger les mentalités.

Confidence224.com : L’évidence est que le viol est présent dans nos familles, dans nos sociétés et ce, sans l’ombre d’aucun doute. A votre avis quelles réponses devrait-on donner au phénomène ?

Monsieur Barry : A mon avis la réponse à donner au phénomène doit résider dans le combat contre le tabou qu’il y a autour du viol. Prenez l’exemple du dernier cas survenu récemment à Labé. Alors qu’elle revenait de l’école, une petite fille d’à peine cinq ans s’est fait tomber dessus par un adulte. Selon les informations il y a eu plusieurs tentatives et de pressions de ce côté pour faire retirer la plainte des mains des autorités. Il aura fallu l’indignation de certains acteurs pour que la plainte soit maintenue. Imaginez une fillette de 5ans ! C’est vraiment une aberration. Pour en venir donc à votre question de savoir quelle réponse la société doit-elle donner au phénomène, je rappellerais à ce niveau qu’il y a plusieurs angles d’analyse. D’abord en Guinée nous sommes une société de croyance. Je le disais tantôt, toutes les religions pratiquées en Guinée bannissent le viol. Ensuite au niveau des pouvoirs publics il y a des structures qui sont spécialement chargées de gérer cette question. C’est le cas par exemple de l’Office de la Protection du Genre, de l’Enfance et des Mœurs (OPROGEM). Aujourd’hui vous avez dans les différents commissariats de police, un représentant de cette structure pour traiter spécialement des questions comme le viol. Souvent des agents vont jusque dans des familles pour s’enquérir des réalités afin de mieux combattre le phénomène. Par ailleurs, dans nos familles il y a un manque criard d’éducation sexuelle. Vous savez souvent les cas de viol qui surviennent se font dans les familles et cela, entre les membres. C’est pourquoi il faut dès à bas âge inculquer aux enfants une certaine éducation sexuelle. L’autre réponse à ce phénomène de viol doit aussi venir de l’école. Pratiquement nos programmes scolaires font fi de la question alors que tout devrait en quelques sortes se concentrer là. Il faut inclure dans ces programmes des rubriques consacrées à l’éducation sexuelle des enfants. Cela aura le mérite d’atténuer le viol car il sera enseigné aux enfants d’abord le danger lié au viol ; ensuite comment lutter contre et puis il leur sera enseigné les sanctions pénales qui attendent les coupables.

Confidence224.com : Revenons un peu sur le cas de l’OPROGEM. Vous avez parlé du rôle qui est le sien, mais le constat sur le terrain est que ses agents sont souvent dans la réaction et non dans la prévention. Ne pensez-vous pas qu’ils devraient un peu inverser cette façon de faire ?

Monsieur Barry : C’est une remarque très pertinente mais assez complexe. Complexe car si vous prenez nos commissariats de police ils sont en général moins bien dotés techniquement et même financièrement. Il leur manque d’outils et de moyens d’action pour mener à bien la mission qui leur est confiée. Et c’est à ce niveau qu’il faut inviter l’Etat au plus haut niveau à leur venir en aide. Moi j’ai eu à travailler avec la police au compte d’un projet. Souvent dans un commissariat vous n’avez qu’un ou deux représentants de l’OPROGRM. Vous imaginez, un seul agent pour combien d’habitants et avec quels moyens matériels et financiers ! C’est compliqué tout ça.

Confidence224.com : Parlons à présent des acteurs de la société civile. A votre avis quel rôle devrait-il être celui de ces acteurs dans la lutte contre le viol dans notre société ?

Monsieur Barry : Oui, les acteurs de la société civile ont un rôle essentiel à jouer dans cette histoire. Un rôle très essentiel. D’ailleurs il faut rappeler qu’il y en a qui font un travail formidable dans la lutte contre le viol, cela est à saluer et encourager. Il y a aujourd’hui des ONG qui sensibilisent nos concitoyens, dénoncent les cas de viol et volent même au secours des victimes pour des soins et même dans la poursuite judiciaire ; parce qu’il faut souligner que du fait de la pauvreté, certaines familles s’abstiennent à aller dans un procès. Donc pour ma part je salue et encourage le travail hardi qu’ils font sur le terrain dans une société comme la nôtre. Il y a aussi les médias que vous êtes. Vous jouez un rôle essentiel dans le combat contre ce phénomène. Vous contribuez à faire évoluer les mentalités. Cela est vraiment salutaire. Le combat contre un phénomène aussi encré que le viol, requiert inéluctablement l’implication de tous les acteurs de la société. Que l’on soit journaliste, activiste, intellectuel, décideur politique ou autres leaders d’opinion, nous avons tous notre partition à jouer pour éradiquer ce phénomène qui, hélas, commence à prendre d’autres tournures extrêmement dangereuses au sein de notre société.

Entretien réalisé par Mohamed Lamine SYLLA

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